La famille Han, Min Jin Lee, éditions Charleston, 23,90 euros

Dans ce roman imposant, Min Jin Lee nous dépeint le quotidien de la famille Han, exilés coréens à New York, et notamment celui de la fille ainée Casey. Les parents tiennent un pressing dans le Queens et se sont sacrifiés pour que leurs deux filles fassent de hautes études. Mais Casey, tout juste diplômée de Princeton, refuse son admission en droit à Columbia et n’a pas vraiment de projets d’avenir.

Bientôt brouillée avec son père, trahie par son petit ami, elle se retrouve sans ressource autre qu’un petit job dans un grand magasin, alors qu’à l’instar de ses camarades, jeunes bourgeois blancs, elle aimerait appartenir à la haute société new-yorkaise. La recherche d’argent, qui seul donne accès à une certaine aisance sociale, irrigue tout le récit, tout comme l’éveil à la sexualité et le poids des traditions en sont des thèmes récurrents.

Voici un roman d’apprentissage dense, une ample fresque sociale qui se déploie sur plus de 800 pages, et finalement un gros livre réconfortant dans lequel on se love avec bonheur.

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L’heure des femmes, Adèle Bréau, éditions JC Lattès, 21.50 euros

A travers la figure de sa célèbre aïeule, Ménie Gregoire, celle qui donna la parole aux femmes dans son émission de radio sur RTL, l’autrice Adèle Bréau revisite les flamboyantes années de libération que furent les années 70.

Roman choral, le récit mêle les voix de plusieurs femmes, tout d’abord Ménie Grégoire qui entame, à 50 ans, sa carrière de “dame de coeur” qui saura écouter les femmes et tâcher de leur répondre, ensuite Mireille et Suzanne, des auditrices qui sont au coeur des dilemmes de l’époque, entre maternités à répétition et choix de l’avortement, puis Esther, documentariste en 2021, qui se lance dans l’aventure d’écrire un livre sur Ménie Grégoire.

Il est question ici de féminisme, de sororité, d’indépendance, mais aussi d’écoute et de prise en compte de la parole des femmes. L’incroyable succès de l’émission de Ménie la propulsera dans un véritable tourbillon, entre lettres d’encouragement et messages de haine, et fera peut-être vaciller l”équilibre de son quotidien.

Ce récit polyphonique et bien mené nous plonge dans l’effervescence d’une époque pas si lointaine, où les femmes n’avaient souvent pas voix au chapitre mais oeuvraient pour conquérir leurs droits.

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Des pépites en poches

Soleil amer - Poche - Lilia Hassaine - Achat Livre ou ebook | fnacSoleil amer, Lilia Hassaine, collection folio, 7.50 euros

Fin 1950, en Algérie. Saïd, le mari de Naja, a été recruté pour partir travailler en France, la laissant seule au pays avec leurs trois filles. Au bout de 5 ans, devenu ouvrier spécialisé dans l’automobile, il parvient à rassembler sa famille en région parisienne. Mais Naja tombe rapidement enceinte à nouveau et craint de ne pas pouvoir garder l’enfant…

Grâce au frère de Saïd, Kader, et à sa belle-soeur française Eve, la famille s’installe dans un appartement neuf en HLM ; ces quartiers sont alors synonymes d’un grand brassage social avec l’utopie du vivre-ensemble. Dans les années 70 – 80, la mixité sociale s’amoindrit et les cités se dégradent peu à peu, laissant s’installer la pauvreté, puis la drogue et avec elle le VIH. Personne n’est à l’abri de ces fléaux et Naja s’inquiète pour ses enfants.

Un roman qui, d’une écriture précise, nous offre un texte âpre et poétique, d’une grande sensibilité pour décrire une réalité parfois sordide. Une pépite de la rentrée littéraire.

 

Une amitié - broché - Silvia Avallone, Françoise Brun - Achat Livre ou ebook | fnacUne amitié, Silvia Avallone, liana lévi, collection Piccolo, 13,50 euros

Début des années 2000. Elisa et Béatrice sont deux adolescentes que tout oppose : l’une est plutôt réservée et passionnée de littérature, tandis que l’autre est délurée et ne jure que par Internet. La mère d’Elisa, séparée de son père, l’envoie vivre chez lui, ce qu’Elisa vit comme un abandon, alors que la mère de Béatrice la pousse dans la lumière, derrière l’objectif des photographes de mode.

De nos jours, Elisa, 33 ans, retrouve ses journaux intimes de l’époque et replonge dans cette amitié qui a pris fin depuis une dizaine d’années. Entretemps, Béa est devenue “La Rosetti”, sorte de phénomène des réseaux sociaux ; mais voilà que la créature disparaît de la toile, provoquant un tollé général et intriguant sa meilleure amie…

De sa plume ciselée, Silvia Avallone dissèque cette amitié fusionnelle dans un roman dense et entêtant, qui n’est pas sans rappeler “l’Amie prodigieuse”, à laquelle l’auteur fait d’ailleurs quelques clins d’oeil. Présent et passé se côtoient dans ce récit ambitieux et prenant.

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La nuit des pères, Gaëlle Josse, les Editions Noir sur blanc, collection Notabilia, 16 euros

Isabelle revient dans le village de son enfance, appelée par son frère au chevet de leur père, dont la santé décline, sa mémoire se fissurant peu à peu. Ancien guide de montagne, celui-ci est un homme rude et taciturne, qui ne mâche pas ses mots, quitte à blesser ses proches – Isabelle se souvient de ses phrases définitives : “Tu ne seras jamais aimée de personne, tu vas rater ta vie.”

Ce retour, après de longues années d’absence, bouleverse Isabelle mais c’est peut-être aussi l’occasion de se rapprocher de son père et de comprendre mieux les humeurs de cet homme difficile. Car il a sans doute une épine plantée dans le coeur…

Les personnages s’expriment tour à tour, chacun se dévoilant au plus près de son ressenti mais avec beaucoup de pudeur. Comme à son accoutumée, Gaëlle Josse nous livre un texte sensible et juste, qui va à l’essentiel et nous touche au coeur.

 

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Dans les empreintes de Sylvia Plath

Euphorie, Elin Cullhed, éditions de l’Observatoire, 22 euros

Avec ce livre, Elin Cullhed nous retrace la vie de la poétesse américaine Sylvia Plath, dans ce qui devait être sa dernière année de vie, au tout début des années 60. Après un séjour en hôpital psychiatrique dans sa jeunesse pour dépression, Sylvia a suivi des études à Smith College puis a obtenu une bourse pour étudier en Angleterre, où elle rencontre le poète Ted Hughes. Lorsque l’auteur commence son récit, en 1962, Sylvia, déjà mère de Frieda, 2 ans, et enceinte de son deuxième enfant, décide de s’installer dans la campagne anglaise avec son mari.

Le ciel s’assombrit pour Sylvia lorsqu’un couple d’amis, également poètes, leur rend visite dans le Devon et que Ted tombe sous le charme d’Assia Wevill, dont il fera rapidement sa maîtresse. Il part de plus en plus souvent à Londres pour son travail, délaissant femme et enfants.

Dans ses lettres à sa mère, Sylvia ne tarit pas déloges sur sa vie en campagne et paraît résolument optimiste, alors que dans les faits, elle passe de périodes d’euphorie à des moments d’abattement. Elin Cullhed s’empare de son sujet d’une manière presque viscérale et rentre dans la psyché de Sylvia Plath en s’appropriant son style littéraire, l’éblouissement de sa langue puissante et poétique. Elle nous restitue également ses sautes d’humeurs, ses fulgurances ainsi que ses moments de découragement, qui présagent de son funeste destin. Un roman ample et inspiré.

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Portrait en jeune fille juive

Quand tu écouteras cette chanson, Lola Lafon, éditions Stock, 19,50 euros

Dans “Quand tu écouteras cette chanson”, Lola Lafon se prête au jeu de la collection “Ma nuit au musée”, qui consiste à accueillir un auteur pendant toute une nuit dans le musée de son choix, et à en tirer un texte. Elle a choisi l’Annexe, le musée Anne Frank à Amsterdam. “Souvent pour comprendre, il faut regarder au coeur même du vide” : c’est à cette exploration que l’auteur va s’adonner en visitant ces pièces presque désertes, tout en évoquant la figure aujourd’hui iconique d’Anne Frank, les différentes versions de son journal ainsi que ses adaptations au théâtre et au cinéma, quelque peu édulcorées.

Il semble que l’auteur s’approche d’Anne Frank très doucement, évoluant autour d’elle en cercles concentriques, comme elle déambule dans l’annexe sans parvenir à entrer dans la chambre de la jeune fille, très “habitée” selon les termes du directeur du musée. C’est un texte très libre, qui interroge autant les événements que les personnages, un texte qui va au-delà de l’icone Anne Frank, à la recherche de l’essentiel. Lola Lafon mêle sa vie personnelle à celle d’Anne, faisant résonner certains faits et coïncidences. Il y a quelque chose de magique dans ce très beau texte, à fleur de peau.

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Un automne en poches

Ce matin-là, Gaëlle Josse, éditions J’ai lu, 7,50 euros

Un matin, Clara, employée d’une société de crédit, ne parvient pas à démarrer sa voiture, et c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase : elle n’en peut plus, elle n’a plus la force de continuer sa vie telle qu’elle est. Elle, si investie et efficace, ne retournera pas à son travail. Bientôt, collègues, amis, amours, tout se délite autour d’elle et elle se retrouve seule face à ce burn-out.

D’une plume simple et juste, Gaëlle Josse nous offre un roman lumineux sur un sujet difficile et très actuel. C’est aussi un hymne à l’amitié à travers la relation entre Clara et Cécile, l’amie des années d’étude, qui l’invite à partager son quotidien en exploitation agricole. Un beau livre sur le sens de la vie, sur ce corps vacillant qui nous oblige à réagir et changer, enfin, de vie.

S’adapter, Clara Dupont-Monod, éditions Le Livre de Poche, 7,70 euros

Ce sont les pierres de la cour qui nous racontent cette histoire, tel un conte contemporain. Au coeur de ce roman, un enfant différent, qui ne parle pas, ne tient pas sa tête droite, ne suit pas des yeux, un enfant qui pulvérise l’unité de la famille ou retisse ses liens autrement. Chacun réagit à sa manière à la naissance de l’enfant : l’aîné entre en fusion avec lui et le protège jusqu’à en oublier sa propre vie ; la cadette l’ignore et couve une colère sourde contre cet élément perturbateur ; quant au petit dernier, il doit vivre avec le fantôme de ce frère tout en ramenant l’harmonie dans la famille.

Un récit raconté et scandé par les voix des trois enfants, qui chacun livrent leur vérité. Un roman intimiste et fort, un texte lumineux.

Où vivaient les gens heureux, Joyce Maynard, éditions 10/18, 9,60 euros

Eleanor, jeune illustratrice de livres pour enfants, s’installe dans une ferme du New Hampshire. Elle rencontre bientôt Cam, qui devient l’homme de sa vie, avec qui elle a trois enfants : Alison, Ursula et Tobie. Le quotidien est doux et harmonieux pour la famille avec cette jeune maman drôle et créative. Jusqu’au jour où un événement va tout faire basculer…

Récit du quotidien, fresque familiale courant des années 80 jusqu’à nos jours, décrivant les écueils des relations parents/enfants, réflexion sur le pardon et l’acceptation, ce livre est tout cela à la fois. “Où vivaient les gens heureux”, c’est l’endroit empli de nostalgie où on a été heureux, en amour comme en famille. Et Joyce Maynard décrit admirablement cet endroit, ou plutôt ce moment, qu’on aime se remémorer, dans un roman très vivant et réconfortant.

 

La Carte postale, Anne Berest, éditions Le Livre de Poche, 8,90 euros

En 2003, parmi les cartes de voeux qui lui sont adressées, Lélia reçoit une énigmatique carte postale : d’un côté l’Opéra Garnier et de l’autre les prénoms de ses grand-parents, oncle et tante, Ephraïm, Emma, Noémie et Jacques, tous morts dans les camps de concentration. Presque 20 ans après, sa fille, Anne Berest, sur le point d’accoucher, va se reposer chez ses parents et commence à poser des questions à sa mère sur la fameuse carte postale et ces ancêtres dont elle ne sait rien.

C’est ainsi que débute l’enquête menée par Anne Berest afin de retrouver l’auteur de la carte et de raconter l’histoire de ces quatre personnages, ainsi que celle de sa grand-mère Myriam qui ne parlait jamais de sa famille. Ce livre dense et foisonnant retrace le destin d’une famille juive au coeur du XXème siècle, dans une recherche bien menée en deux parties distinctes, d’abord la vie des quatre personnages, mêlée avec celle de l’auteur, puis l’enquête proprement dite. On croise des personnages hauts en couleur et émouvants, comme Noémie, la tante aspirante écrivain, et Lélia, la mère de l’auteur, toujours enveloppée de la fumée de sa cigarette. Une fresque familiale passionnante.

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Swinging London

Free Love, Tessa Hadley, éditions Bouquins, 22 euros

Fin des années 60, en Angleterre. Phyllis et Roger sont mariés depuis une quinzaine d’années ; Roger est diplomate au Ministère des affaires étrangères tandis que Phyllis supervise l’éducation de leurs deux enfants, Hugh, 10 ans et Colette, 15 ans. Un soir, ils invitent à dîner un jeune homme, Nicky, fils d’une ancienne amie de Roger. La soirée tourne à la comédie de moeurs lorsque Phyllis se retrouve à embrasser le jeune homme. Commence alors une liaison qui ne dit pas son nom, et, au moment des fêtes de Noël, Phyllis plaque tout pour vivre son amour avec ce jeune étudiant sans le sou.

Elle rencontre toute sa bande d’amis, des artistes et des hippies qui changent sa vision du monde. Elle a conscience que sa relation avec Nicky est fragile, mais quand elle tombe enceinte, elle décide d’assumer et d’élever son enfant, seule s’il le faut.

C’est à l’éveil d’une femme que l’on assiste, à l’histoire de sa libération qui se fait doucement, pas à pas, dans une société encore corsetée et normative. Loin d’une banale liaison extra-conjugale au goût de vaudeville, Free Love évoque plutôt le cheminement intérieur d’un être humain qui se questionne et cherche son indépendance, à la manière des personnages d’Alison Lurie, au coeur des années 60.

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Normal People, Sally Rooney, Point Seuil, 7,90 euros

Marianne et Connell se rencontrent au lycée ; Connell est un lycéen très populaire alors que Marianne est la fille un peu solitaire, jamais vraiment à l’aise avec les autres. Ils forment un couple improbable mais s’attirent comme des aimants, même si Connell tient à être très discret sur leur relation. Ils ne sont pas du même milieu social, la mère de Connell, Lorraine, étant femme de ménage chez Marianne. Lorsqu’on les retrouve un an après au Trinity Collège, les choses semblent s’être inversées : Marianne s’épanouit parmi son groupe d’amis tandis que Connell ne trouve pas sa place.

Voilà un roman qui avance à pas feutrés, dévoilant peu à peu les états d’âme des personnages, parfois agaçants mais toujours touchants. Le manifeste d’une jeunesse un peu paumée, qui se regarde et s’ausculte sans relâche, une plongée dans cette parenthèse qu’est la vie estudiantine et ses atermoiements sentimentaux, entre le moi intime et le moi social. Le roman d’une génération perdue.

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Les affinités sélectives, J.Courtney Sullivan, éditions les Escales, 23 euros

Elisabeth, journaliste et romancière reconnue à New York, et son mari Andrew quittent la vie citadine de Brooklyn pour une petite ville universitaire dans le nord de l’état. Ils projettent d’y élever Gil, leur bébé de 6 mois, né au terme d’un parcours ardu de procréation assistée. Mais bientôt, Elisabeth s’ennuie entre le groupe Facebook de mères new-yorkaises qu’elle consulte sans cesse et la rencontre avec les mamans de son nouveau quartier ; elle embauche une étudiante, Sam, pour garder Gil alors qu’elle reprend le travail.

De son côté, Sam est confrontée aux choix cruciaux qui se posent au début de l’âge adulte : vers quel métier se diriger, quelle relation amoureuse envisager, comment rembourser son prêt étudiant? Autant de questions qui la tourmentent  et ouvrent le champ des possibles. Quant à Elisabeth, elle incarne bientôt pour Sam la femme accomplie qu’elle rêve d’être un jour.

Peu à peu, une relation de plus en plus intime se noue entre elles, chacune cherchant chez l’autre ce qu’elle n’a pas encore, ou ce qu’elle n’a plus. A travers le récit d’une amitié féminine ambivalente, l’auteur aborde des questions de justice sociale et dépeint une Amérique à deux vitesses. Un roman plus profond qu’il n’en a l’air, servi par l’écriture tout en nuances de J. Courtney Sullivan.

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