L’amitié à l’épreuve du confinement

Très chers amis, Gary Shteyngart, éditions de l’Olivier, 24 euros

Mars 2020. Alors que le monde sombre dans l’épidémie de Covid, Sacha Senderovski, écrivain quinquagénaire d’origine russe et sa femme Macha, psychiatre, décident d’accueillir quelques amis dans leur maison sur la colline au bord de l’Hudson. Le groupe se compose de Karen, Vinod et Ed, amis de lycée de Senderovski, Dee, une de ses anciennes élèves, et l’Acteur, ainsi nommé pendant tout le livre, comédien célèbre qui doit jouer le scénario écrit par son hôte. Autour du cottage, plusieurs bungalows sont disposés en arc de cercle qui permettent de loger tout ce petit monde plus ou moins confortablement.

A l’intérieur de cette colonie improvisée, les sentiments vont s’exacerber, les egos s’enflammer, le passé ressurgir dans un bouillonnement d’émotions mêlées, et le confinement devient le théâtre d’un huis-clos décapant qui va révéler les personnages à eux-mêmes sous leurs aspects les moins avouables.

On se régale de cette tragi-comédie insolite rassemblant des personnages de tous origines à l’humanité désarmante. Gary Shteyngart nous livre une fable douce-amère sur l’amitié à l’épreuve du confinement, mais plus largement à l’épreuve du passage des années et des inégalités sociales, ainsi qu’une réflexion plus profonde sur les notions de réussite et d’échec qui pose au final cette question : Qu’est-ce qu’une vie réussie?

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La Famille Han, Min Jin Lee, Harper and Collins, 9,90 euros

Dans ce roman imposant, Min Jin Lee nous dépeint le quotidien de la famille Han, exilés coréens à New York, et notamment celui de la fille ainée Casey. Les parents tiennent un pressing dans le Queens et se sont sacrifiés pour que leurs deux filles fassent de hautes études. Mais Casey, tout juste diplômée de Princeton, refuse son admission en droit à Columbia et n’a pas vraiment de projets d’avenir.

Bientôt brouillée avec son père, trahie par son petit ami, elle se retrouve sans ressource autre qu’un petit job dans un grand magasin, alors qu’à l’instar de ses camarades, jeunes bourgeois blancs, elle aimerait appartenir à la haute société new-yorkaise. La recherche d’argent, qui seul donne accès à une certaine aisance sociale, irrigue tout le récit, tout comme l’éveil à la sexualité et le poids des traditions en sont des thèmes récurrents.

Voici un roman d’apprentissage dense, une ample fresque sociale qui se déploie sur plus de 800 pages, et finalement un gros livre réconfortant dans lequel on se love avec bonheur.

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Une héroïne attachante en format poche

Prends ma main, Dolen Perkins-Valdez, éditions Points, 9,90 euros

1973. Civil, jeune infirmière afro-américaine, travaille au planning familial de Montgomery, en Alabama. Fidèle à des idéaux de justice sociale, elle essaye d’aider les jeunes filles des familles qui lui sont confiées. Ainsi elle se prend d’affection pour Erica et India, 13 et 11 ans, orphelines de mère qui vivent dans des conditions précaires. Elle doit fournir une contraception à ces deux jeunes soeurs, dont une n’est même pas réglée, et commence à douter du bien-fondé de sa mission.

Memphis, 2016. Civil, la soixantaine, devenue médecin, vit aujourd’hui avec Anne, sa fille adoptive de 20 ans. Elle sent qu’il est temps pour elle de raconter à sa fille l’histoire d’Erica et India, qu’elle n’a jamais oubliée et qui a déterminé certains de ses choix de vie. Toujours tourmentée par un sentiment de culpabilité, Civil va entreprendre un voyage à Montgomery et essayer de retrouver la paix avec les personnages de son passé.

Inspiré de faits réels, ce roman nous plonge dans l’Amérique conservatrice des années 60-70 et dénonce des pratiques médicales d’un autre âge. Civil, un peu naïve mais très déterminée, se lance dans un combat juridique acharné qui la rend très touchante. Un roman passionnant.

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La magie d’un portrait

L’inconnue du portrait, Camille de Peretti, éditions Calmann Lévy, 21.50 euros

Il y a d’abord Isidore, jeune cireur de chaussure à Wall Street avant le crash de 1929, puis Martha, fille-mère de 16 ans, ouvrière dans une usine en Autriche au début du siècle, et enfin dans les années 90, Michelle, une prostituée américaine bien décidée à faire reconnaître sa fille par son géniteur, qu’elle croit millionnaire.

De prime abord, rien ne semble lier ces personnages si disparates. Au coeur de cette fresque tumultueuse, un portrait : celui d’une jeune fille peinte par Klimt à Vienne en 1910, intitulé “Portrait d’une dame”. Une oeuvre qui connaîtra bien des péripéties puisqu’après avoir été remaniée par l’artiste en 1917 et achetée par un musée italien en 1925, elle y sera dérobée en 1997 et retrouvée dans le jardin du musée en 2019, probablement restituée par le cambrioleur lui-même…

Qui était donc cette inconnue dont le portrait est entouré de tant de mystères? C’est la question à laquelle Camille de Peretti répond brillamment à travers ce roman flamboyant et vif qui nous entraîne de Vienne à New York à différentes époques, dans un ballet au rythme effréné mêlant secrets de familles, ascensions fulgurantes et Histoire de l’Art.

Un roman aux multiples facettes parfaitement maîtrisé, un plaisir de lecture.

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Et nos yeux doivent accueillir l’aurore, Sigrid Nunez, Le Livre de Poche, 9,70 euros

Il y a quelque chose de magique dans cette chronique douce-amère de la vie de deux jeunes filles aussi différentes qu’on peut l’être, colocataires à l’université au début des années 70. Au-delà de ce titre énigmatique et poétique que l’on n’arrive pas à retenir (tiré d’une chanson de Bob Dylan), ce roman dense et nostalgique nous entraîne et nous subjugue rapidement, tout comme Ann Drayton subjugue Georgette George, sa camarade de chambre.

Personnalité complexe et fascinante, Ann est une fille de bonne famille en révolte contre son milieu, qui détonne autant qu’elle agace. Elle ne cache d’ailleurs pas à Georgette qu’elle a réclamé à l’université de partager la chambre d’une “jeune fille venant d’un monde aussi différent du sien que possible”, donc de condition beaucoup plus modeste. Contre toute attente, une curieuse amitié va naître entre elles qui les tient éveillées jusqu’à l’aube, en veine de confidences intimes. Tandis qu’Ann se radicalise en s’engageant politiquement contre la guerre du Vietnam et le racisme, Georgette, plus discrète, entame une vie professionnelle plus traditionnelle.

Des années plus tard, alors qu’elles se sont perdues de vue, Georgette reçoit de plein fouet la nouvelle de l’incarcération d’Ann pour meurtre. Bouleversée, elle réalise alors à quel point son amitié avec Ann a influencé et façonné sa propre existence…

Ce roman admirable fait partie de ceux qu’on dévore mais le plus doucement possible afin de ne pas le finir tout de suite! L’auteur nous offre une histoire d’amitié authentique et mélancolique autant qu’une peinture sociale des Etats-Unis des années 70 jusqu’à aujourd’hui, à travers un récit subtil et enlevé qui semble se jouer des différentes époques. Une totale réussite!

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Veiller sur elle, Jean-Baptiste Andrea, éditions l’Iconoclaste, 21,90 euros

Né en France en 1904 de parents italiens, Michelangelo Vitaliani, appelé communément “Mimo”, est ce qu’on appelle pudiquement un homme de petite taille. Après le décès de son père pendant la première guerre mondiale, sa mère le ramène en Italie et le laisse à Gênes, en apprentissage de sculpteur chez son oncle Zio Alberto. Bientôt l’élève se révèle plus doué que le maitre et va prendre son indépendance.

Lorsqu’il rencontre Viola, jeune héritière de la riche famille Orsini, Mimo est ébloui par son intelligence et sa forte personnalité. Elle l’ouvre au monde en lui faisant découvrir l’histoire de l’Art et l’aide à étendre ses connaissances. Ils partagent une relation privilégiée, faite de fascination et d’admiration mutuelle, et se disent “jumeaux cosmiques”. Mais bientôt le destin va les séparer…

Jean-Baptiste Andréa nous offre ici une fresque historique à l’ample souffle romanesque, à la fois roman d’apprentissage et roman d’aventures riche en rebondissements. Ses personnages hauts en couleur nous entraînent à travers les tourments de l’histoire, et on n’oubliera pas Mimo et Viola, dont la relation intense palpite et irradie tout le livre.

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Les voleurs d’innocence, Sarai Walker, éditions Gallmeister, 26,40 euros

Sylvia Wren est une vieille dame, artiste peintre célèbre vivant au Nouveau-Mexique avec sa compagne, Lola, qui gère sa carrière. Mais pendant que celle-ci est en voyage, elle reçoit le courrier d’une journaliste qui souhaite l’interviewer et semble tout connaître de son passé, lorsqu’elle ne s’appelait pas encore Sylvia Wren mais Iris Chapel.

C’est alors qu’Iris prend la parole et nous raconte l’histoire des six soeurs Chapel qui, dans les années 50, habitent un manoir victorien du Connecticut, rebaptisé le “gâteau de mariage”. Leur mère, Belinda, leur a donné des prénoms de fleurs, Aster, Rosalind, Calla, Daphné, Iris et Hazel. Belinda est une mère singulière, une mère “hantée”, qui a des prémonitions, des visions, et qui la plupart du temps vit recluse dans sa chambre, alors que son mari absent s’occupe de son entreprise d’armes à feu. Quand Aster, la fille aînée, annonce qu’elle veut se marier, Belinda a un terrible pressentiment…

Comme dans un conte macabre, une malédiction pèse sur les jeunes filles qui, sitôt mariées, meurent mystérieusement. Comment échapper à cette destinée funeste? Voici un roman envoûtant qui nous plonge dans une ambiance gothique et éthérée, un roman féministe qui, l’air de rien, pose la question de l’épanouissement féminin dans le mariage, un livre fascinant qui nous jette un sort et qu’on ne peut plus lâcher. Addictif!

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Vous ne connaissez rien de moi, Julie Héraclès, éditions J-C Lattès, 20,90 euros

Tout le monde connaît ce cliché de Robert Capa, devenu l’emblème de la libération par l’épuration : une jeune femme, le crâne rasé, le front marqué au fer rouge, le visage tourné vers son bébé, qui marche dans les rues de Chartres, entourée d’une foule hostile. Julie Héraclès, chartraine elle-même, s’est penchée sur l’histoire de la fameuse “tondue de Chartres” pour publier son premier roman. Elle y décrit la vie de Simone, jeune femme d’un milieu modeste mais brillante élève (elle aura le bac, ce qui est remarquable à l’époque) qui souhaite sortir de sa condition.

Douée en langue allemande, admiratrice du régime politique nazi et de son führer Hitler, elle se propose en tant qu’interprète dans une administration tenue par l’occupant, puis à la Feldkommandantur. C’est dans ce contexte qu’elle rencontre Otto Weiss, jeune lieutenant responsable de la propagande, qui en civil était bibliothécaire.

Un premier roman prometteur qui impose un ton, celui, gouailleur et effronté, de sa jeune héroïne qui n’a pas la langue dans sa poche. C’est un livre qui suscite la réflexion et donne un nouvel éclairage à cet épisode historique, évitant l’écueil du manichéisme et nous révélant une période trouble, toute en nuances de gris.

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Dans la tête du tueur

L’épaisseur d’un cheveu, Claire Berest, Albin Michel, 19,90 euros

Vive et Etienne, la quarantaine, forment un couple équilibré, elle un peu artiste, sensuelle, fantasque et lui plus sérieux, intellectuel, amateur de musique classique. Etienne est correcteur dans une maison d’édition, Vive est photographe et travaille dans une association artistique où elle organise les expositions et vernissages, épaississant ainsi son carnet d’adresses. C’est un couple en vue dans un certain microcosme culturel parisien.

Mais cette semaine-là, tout semble aller de travers pour Etienne : d’abord Vive annule le concert de Mahler auquel ils devaient se rendre le Mardi ; le lendemain, alors qu’elle doit l’accompagner à la soirée annuelle de sa maison d’édition, elle réclame d’aller boire un verre avant pour discuter, bref rien ne se passe comme prévu. Vive semble vouloir s’échapper et Etienne ne le supporte pas…

Si la quatrième de couverture ne fait pas mystère de l’issue fatale, Claire Berest réussit le tour de force de nous faire entrer dans l’esprit du tueur, là où le coupable se fait victime, et nous interroge sur la banalité du mal. Car l’enchainement des événements, de petites contrariétés en franches disputes, reflète le quotidien d’un couple ordinaire qui bascule dans le crime et la folie. C’est ce cheminement, à rebours du drame, que Claire Berest nous décrit dans ce roman qui suscite émotion et réflexion.

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La justice des hommes, Santiago H. Amigorena, éditions P.O.L, 21 euros

Alice et Aurélien se sont rencontrés jeunes et ont rapidement eu deux enfants, Elsa, 6 ans, et Loup, 3 ans. Tout pourrait aller pour le mieux dans le meilleur des mondes mais lors d’une dispute, Aurélien va commettre l’irréparable. Dès lors, la communication se rompt entre les deux personnages, mais aussi au sein de la famille puisqu’Elsa, traumatisée, a cessé de parler.

Alice et Aurélien mettent leur destin entre les mains de la justice des hommes, mais celle-ci est implacable et ne s’embarrasse pas de nuances…

Santiago H. Amigorena décrit très justement une rupture, pas seulement amoureuse mais aussi familiale, qui emporte les individus telle une gigantesque vague et les laisse, chancelants et anéantis, sur le rivage. Une réflexion romanesque sur la rupture mais aussi la perte totale de repères et l’identité qui se dérobe suite à un choc traumatique. Un roman contemporain qui capte l’air du temps.

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