Mrs Hemingway, Naomi Wood, éditions Folio, 7,90 euros
Ernest Hemingway avait la réputation d’être un homme à femmes, hâbleur et beau parleur. Mais l’homme cachait derrière ses manières frustes un mal de vivre lancinant, que sa vie sentimentale met en exergue ici à travers sa quête inlassable de l’amour. En effet, s’il y a une femme derrière chaque grand homme, lui en eut quatre et les épousa toutes, comme s’il y croyait à chaque fois éperdument.
Naomi Wood nous entraîne dans le sillage de l’écrivain et de ses quatre femmes, chacune chassant l’autre dans un impossible ménage à trois : on passe d’Hadley, douce et maternante, à la volontaire et noceuse Fife, puis à l’intrépide journaliste Martha Gelhorn, dont il se consolera dans les bras de la dévouée Mary Welsch.
De Paris à Cuba en passant par la côte d’Azur, Hemingway épouse ses maîtresses dans un ballet incessant ; au fil des années, des liens se créent même entre elles, d’ennemies elles deviennent alliées autour de la figure de ce colosse aux pieds d’argile. Ici l’auteur réussit le pari de nous rendre chacune de ces femmes attachantes à sa manière et nous livre une saga passionnante.
La vie parfaite, Silvia Avallone, éditions Liana Levi, format Piccolo, 13 euros
A la manière d’une fable, Silvia Avallone nous dépeint une chatoyante fresque italienne autour du thème central de la maternité et de ses contours : désir, instinct, peur, rejet.
Adèle, jeune fille de 18 ans, va accoucher seule puisque le père de son enfant est en prison. Sans ressources, elle songe à confier son enfant à l’adoption. De l’autre côté de Bologne, Dora, professeur de littérature, femme accomplie et éclairée, est de plus en plus obnubilée par son désir d’enfant inassouvi, jusqu’à en perdre le contrôle…
Comme dans “D’acier” (qui nous avait subjugué), Silvia Avallone nous décrit des personnages à la lisière de la précarité ou de la folie, chacun aspirant à un idéal illusoire. Dans une langue incandescente et âpre, elle mêle admirablement réalité sociale et drames intimes.
Fugitive parce que reine, Violaine Huisman, Folio, 7,90 euros
Un premier roman au titre énigmatique qui nous transporte. Violaine Huisman retrace la vie de sa mère, Catherine, femme fantasque et imprévisible avec qui le quotidien fut chaotique. A l’ouverture du récit, Violaine, 9 ans, assiste à la chute du mur de Berlin à la télévision alors qu’au même moment sa mère s’effondre elle aussi, victime d’une grave dépression qui oblige à la faire interner. Cette vie heurtée, suspendue aux sautes d’humeurs d’une femme écorchée vive, rattrapée par la maladie (qu’on appelle encore maniaco-dépression), est racontée du point de vue de l’enfant, dans une narration vivante et non dénuée de traits d’humour.
Dans la deuxième partie du récit, on aborde la vie de Catherine de façon objective, par le prisme d’un regard extérieur ; tout s’éclaire alors d’une autre façon, à l’aune de l’enfance difficile d’une petite fille à la santé fragile, contrainte de passer plusieurs années à l’hôpital, privée de sa mère. Enfin la troisième partie nous livre le regard réconcilié de l’adulte qui a construit sa vie et évoque le lien indéfectible avec sa mère, malgré toutes ses failles.
Servi par une écriture somptueuse et ciselée, “Fugitive parce que reine” est un texte bouleversant et original, mais aussi plein d’une belle énergie de vie.
Un mariage anglais, Claire Fuller, Le Livre de Poche, 8,20 euros
Gil Coleman, vieil écrivain vivant reclus au milieu de ses piles de livres, croit voir sa femme, disparue depuis 12 ans, dans la rue. Il se blesse en voulant la poursuivre et ses deux filles, Flora et Nan, sont appelées à son chevet. Commence alors un huis-clos familial autour de la figure de Gil et surtout d’Ingrid, dont l’absence hante le récit.
Lorsqu’elle rencontre Gil, Ingrid est une étudiante prometteuse, il est son professeur de Littérature. Contraints de quitter la fac où Gil enseignait, ils se marient et s’installent dans la maison de celui-ci, en bord de mer. Quinze ans pus tard, Gil est devenu un écrivain à succès ; Ingrid doit accepter ses fréquentes absences, ses retraits dans son atelier pour écrire en paix, son tempérament de séducteur invétéré. N’arrivant plus à communiquer avec lui, Ingrid commence à lui écrire des lettres où elle relate leur histoire sentimentale, qu’elle glisse dans ses livres…
Le récit, qui alterne entre scènes du moment présent et réminiscences du passé à travers les lettres d’Ingrid, offre à la fois la fine et sensible analyse d’un couple ainsi qu’un magnifique portrait de femme. Un roman à clefs dont les rebondissements nous surprennent, à lire sur la plage!
Dans les angles morts, Elizabeth Brundage, Le Livre de Poche, 8,90 euros
Février 1979, à Chosen, dans l’état de New York. Le professeur George Clare rentre chez lui et trouve sa femme assassinée alors que sa fille de trois ans, Franny, est indemne. Pour le Shérif Travis Lawton, George est le premier suspect.
Huit mois plus tôt, George et Catherine achetaient l’ancienne ferme des Hale à un prix avantageux, George ayant omis de dire à sa femme que les anciens propriétaires, criblés de dettes, s’étaient suicidés dans la ferme, laissant trois orphelins, Eddy, Wade et Cole.
L’histoire des frères Hale se mêle à celle de George et Catherine qui, comme pour se faire pardonner quelque chose, les emploient pour rénover la ferme. Des liens ambigus vont alors se nouer et l’histoire semble se répéter, à l’ombre de cette demeure inquiétante. Au delà du polar, “Dans les angles morts” est un grand roman américain comme on les aime, dense et envoûtant, un roman noir distillant une ambiance angoissante, mêlant les destinées de personnages d’horizons différents avec brio, avec des portraits d’une grande finesse psychologique.
Une fresque humaine inoubliable.
Le cœur battant de nos mères, Britt Bennett, éditions J’ai lu, 8 euros
Nadia, 17 ans, vit seule en Californie avec son père depuis le suicide inexpliqué de sa mère. Elle vit une histoire d’amour naissante avec Luke, fils du pasteur de sa communauté religieuse, le Cénacle. Mais quand elle tombe enceinte et doit avorter en secret, les choses se compliquent…
Nadia quitte Luke et Aubrey, sa meilleure amie, pour devenir étudiante dans une université du Michigan, où elle fréquente l’élite, ne revenant que rarement en Californie. Quelques années plus tard, elle est rappelée au chevet de son père, gravement blessé. Luke et Aubrey sont devenus très proches et les trajectoires des trois personnages vont s’imbriquer inextricablement.
Un premier roman attractif et surprenant, sur un sujet peu exploré en littérature (l’avortement), servi par une écriture simple et juste. Les fidèles du Cénacle s’invitent dans la narration, formant une sorte de chœur antique commentant et rythmant l’action, apportant une touche d’originalité au texte.
Un roman d’apprentissage plein de promesses.
Gabriële, Anne et Claire Berest, éditions Le Livre de poche, 8,20 euros
Les deux arrières petites-filles de Gabriële Buffet-Picabia s’emparent du personnage de leur aïeule avec le besoin d’en découdre, de mieux comprendre cette femme singulière dont les quatre enfants et, par extension, leur descendance, n’étaient pas la préoccupation première.
Gabriële se révèle un personnage romanesque à souhait car pétrie d’ambivalences : éprise de liberté mais épouse dévouée à son mari, musicienne qui abandonne la musique, amoureuse intense mais platonique, elle est la muse des artistes qui l’entourent (Picabia, Duchamp, Apollinaire), celle qui influence, théorise, enflamme les consciences et les coeurs.
On suit avec passion les aventures de Gabriële et du couple iconoclaste qu’elle forme avec Picabia dans cette fresque historique qui est à la fois une histoire d’amour fou et une plongée dans le monde de l’art moderne à ses débuts.
L’âge de raison, Jami Attenberg, éditions 10/18, 7,50 euros
Chronique douce-amère de la vie new-yorkaise, l”âge de raison” est une incursion dans la vie d’Andréa, célibataire citadine, à différentes phases de sa vie, de son installation à New-York après avoir abandonné sa vocation artistique jusqu’à l’approche de la quarantaine. Un récit parfois drôle, parfois poignant, où chaque chapitre saisit un épisode précis de la vie d’Andréa, mêlant présent et passé avec une grande fluidité.
Comment devenir adulte quand, à trente ans et des poussières, on se sent encore comme une ado qui cherche sa voie? A travers les histoires d’Indigo, sa meilleure amie, de son frère et sa belle-soeur, bientôt parents d’une enfant atteinte d’une maladie incurable, de sa mère, militante infatigable (formidables personnages secondaires) Jami Attenberg nous livre le portrait touchant d’une jeune femme dont les tatônnements reflètent la fragilité de notre époque contemporaine. Une belle surprise que cet “âge de raison”. A découvrir!
La beauté des jours, Claudie Gallay, Babel, 9,70 euros
Jeanne et Rémy coulent des jours paisibles dans un village près de Lyon. Leurs deux filles, des jumelles, viennent de partir pour l’université. La vie de Jeanne est simple et tranquille entre son travail à la poste, les bons moments avec son amie Suzanne et les dimanches en famille à la ferme. Mais elle cache une nature fantasque et rêveuse qui la pousse à faire d’étranges paris, par exemple suivre des inconnus dans la rue pour voir où leurs pas les mènent.
Bientôt de petits grains de sable se glissent dans les rouages de cette vie routinière : le cadre photo de la performeuse Marina Abramovic tombe et se brise, Jeanne recroise un homme qu’elle a aimé, adolescente, et tout change…
De sa prose épurée et factuelle, Claudie Gallay décrit autant l’ennui que la beauté des jours. Elle évoque admirablement les menus événements du quotidien et les états d’âme de Jeanne, entre son regain de passion pour l’artiste Abramovic et ses doutes sur son couple. Un roman poétique et sans fioritures, qui va droit au coeur comme la beauté simple d’un haïku.