Je vous aimais, terriblement, Jeremy Gavron, 10/18, 7,50 euros
On entre dans ce livre comme dans un mystère, un tunnel où peu à peu la lumière s’infiltrerait, par faisceaux successifs, éclairant le visage d’une femme aux mille facettes, l’objet de ce récit fascinant et poignant. Le 14 Décembre 1965, Hannah Gavron, universitaire et mère de famille de 29 ans, dépose son petit dernier à l’école, se rend dans l’appartement d’une amie dont elle a la clef, calfeutre les portes et les fenêtres, et ouvre le gaz. Jeremy Gavron est le petit garçon déposé à l’école ce jour-là, il n’a appris la vérité sur cette mort que beaucoup plus tard et part à la recherche de sa mère.
Ce livre est un livre inclassable mais passionnant, la quête identitaire d’un homme qui n’a quasiment pas connu sa mère, une investigation aussi minutieuse que dans un polar et un superbe portrait de femme dans toutes ses ambivalences. Lettres, journaux, photos, expriment peu à peu la vérité -et les zones d’ombre- de cette femme libre avant l’heure, auteur féministe au caractère bien trempé, jeune femme pétulante prête à croquer la vie à pleines dents. On chemine en même temps que le narrateur dans la découverte de cette femme en proie aux difficultés de son époque, comme l’ “épouse captive” de son propre livre et on songe au destin étincelant qui l’attendait si elle n’avait commis ce geste fatal, laissant paradoxalement, beaucoup d’amour et autant de mystère. Un livre envoûtant.
Les furies, Lauren Groff, éditions Point, 8,50 euros
Début des années 90. Lotto et Mathilde, 22 ans, se rencontrent et forment vite un couple mythique pour leurs camarades : lui, séduisant, hâbleur, populaire ; elle, véritable figure hitchcockienne, belle, froide et mystérieuse. Ils bousculent les convenances en se mariant très vite. Après des années de soirées déjantées et de vaches maigres durant lesquelles Mathilde subvient aux besoins matériels du couple, Lotto se révèle en tant que dramaturge et sa carrière prend une ampleur inattendue. Leur couple semble solide et équilibré, mais derrière les apparences subsistent de larges zones d’ombre que le lecteur brûle d’explorer…
Un roman âpre et concis, qui dissèque les mécanismes des relations humaines et nous tend le miroir déformant d’une société au cynisme implacable. Au milieu d’un halo de lumière, le couple de Lotto et Mathilde semble danser un tango infernal, entouré de personnages secondaires bien campés. Lauren Groff ne ménage pas son lecteur en opérant une audacieuse volte face au centre du récit, qui nous amène à tout reconsidérer, formant ainsi un roman à tiroirs qui nous surprend jusqu’au dénouement. Un roman inspiré et lyrique révélant toute l’ambivalence de l’être humain.
Nos âmes, la nuit, Kent Haruf, éditions Pavillons poche, 8 euros
Voici un petit livre magique, un petit livre surprenant dont la simplicité n’a d’égale que l’intensité. Addie, soixante-quinze ans, veuve depuis longtemps, convie son voisin Louis, veuf lui aussi, à passer de temps à autre la nuit avec elle, pour parler un peu et se tenir compagnie. Bientôt les deux voisins se retrouvent presque tous les soirs, au mépris des rumeurs et des jugements dans cette petite ville de Holt où ils vivent depuis toujours. Mais leurs enfants finissent par s’en mêler et les choses se compliquent… Voilà en substance, l’intrigue assez simple de cette pépite littéraire étonnante.
Le livre nous conduit pas à pas vers le vif du sujet, comme Addie qui semble conduire Louis peu à peu vers une nouvelle façon d’aimer. Et l’on découvre avec eux cette relation libre, affranchie des conventions et du qu’en-dira-t-on, comme on retrouverait la joie de l’enfance et des choses simples. Kent Haruf nous offre avec ce roman une leçon de vie, un livre léger traitant de sujets plus graves qu’il n’y paraît : la vieillesse, la solitude, le repli sur soi, mais aussi la richesse du lien qui n’a pas d’âge. Un délice!
Une bobine de fil bleu, Anne Tyler, 10/18, 8,80 euros
Chronique de la famille Whisthank, “Une bobine de fil bleu” nous fait découvrir cette famille ordinaire et affectueuse où gravitent quatre enfants (deux filles et deux garçons) et plusieurs petits-enfants autour des figures parentales, Abby et Red. Si les enfants sont aujourd’hui de retour à Baltimore, c’est que le comportement d’Abby les inquiète : absences, fugues, la vieille dame paraît désorientée. Quant à Red, il devient un peu dur d’oreille… mais aucun des deux ne veut quitter la maison familiale, qui appartenait aux parents de Red et que celui-ci bichonne sans arrêt. Alors ce sont les deux garçons qui vont s’installer avec eux, Stem et sa famille et Denny, le fils rebelle. La promiscuité réveille les rancoeurs et les non-dits, menaçant l’équilibre familial…
Anne Tyler compose une mélodie subtile empreinte de nostalgie, comme une petite musique qui reste en tête et nous accompagne tout au long du livre dans les pas de personnages attachants. Et si les familles heureuses n’étaient pas exemptes de secrets? Un roman dense et émouvant.
Les oubliés du dimanche, Valérie Perrin, Le Livre de Poche, 7,90 euros
Justine Neige, 21 ans, est aide-soignante à la maison de retraite des Hortensias ; elle vit depuis son enfance dans le petit village de Milly où elle a été élevée par sa grand-mère avec son cousin, leurs parents étant morts dans un accident de la route. Justine se sent un peu décalée par rapport aux jeunes de son âge et vit sa vie par procuration à travers les histoires des autres, notamment celle d’Hélène, une résidente de 96 ans qui a connu l’amour avec Lucien pendant la guerre, puis la trahison et la déportation. Justine retranscrit sur un petit cahier bleu les confidences de la vieille dame. Mais à travers l’histoire d’Hélène, c’est la vérité sur la sienne que Justine interroge sans relâche…
Une narration vivante et rythmée, une héroïne infiniment attachante, “les Oubliés du dimanche” est un roman tout en légèreté sur la mémoire et la transmission. Un grand bol d’air frais!