La mémoire des embruns, Karen Viggers, Le Livre de Poche, 8.30 euros
Mary, vieille dame à la santé déclinante, sent ses dernières forces l’abandonner alors qu’elle ressent l’urgence de revenir sur l’ïle de Bruny où elle vivait avec son mari, gardien de phare aujourd’hui décédé, et leurs trois enfants. Malgré l’avis de ses enfants, notamment celui de sa fille Jan, qui la verrait mieux en maison de retraite, elle s’installe dans une maison de bois rudimentaire, avec pour seule visite le passage journalier d’un jeune garde forestier taciturne. Affaiblie par ses problèmes de santé, Mary semble également tourmentée par ses souvenirs sur cette île où elle a pourtant vécu ses plus belles années… Seul son fils Tom, jeune homme torturé depuis son retour d’Antarctique, comprend et soutient sa démarche.
Laissez-vous envoûter par la magie de l’île de Bruny, par le charme de ses paysages sauvages et rudes… Un roman d’une grande force poétique dont les personnages nous émeuvent et nous touchent au coeur. Un enchantement.
L’amie prodigieuse,Elena Ferrante, folio, 8.20 euros
L’ “amie prodigieuse”, c’est Lila, l’amie d’enfance d’Elena, la narratrice, qui entreprend de raconter leur enfance ensemble dans un quartier pauvre du Naples des années 50. Sur fond de violence et de règlements de compte, les deux amies font l’apprentissage de la vie. Toutes deux sont douées pour les études mais seule Elena pourra poursuivre dans cette voie grâce à l’insistance de leur institutrice. Mais c’est Lila qui est brillante, qui semble manier les concepts comme de vulgaires cubes de jeu et avoir toujours une longueur d’avance sur ses camarades. Personnalité hors du commun, curieuse de tout, créative, elle subjugue bientôt les femmes et surtout les hommes du quartier.
L’ “Amie prodigieuse”, c’est le portrait de cette jeune femme par son amie, qui a l’impression de la talonner en permanence, et aussi l’histoire d’une amitié féminine dans toute son ambivalence et sa féroce rivalité. Dans la même veine que “D’acier” de Silvia Avallone, voici une chronique sociale et intimiste qui peut paraître sans relief au premier abord mais qui distille peu à peu sa magie et qu’on quitte à regret. On a hâte de lire la suite! (“Le nouveau nom”, éditions Gallimard)
Daisy sisters, Henning Mankell, Points seuil, 8.50 euros
Elna et Vivi sont correspondantes depuis le primaire et partagent leurs joies et leurs peines dans les lettres qu’elles échangent. C’est à l’été 1941, à 17 ans, qu’elles se rencontrent enfin en organisant une escapade à vélo le long de la frontière avec la Norvège, alors occupée par les nazis. L’été de l’aventure et du bonheur, qui charrie tous leurs espoirs de jeunes filles…Mais le rêve tourne court lorsqu’Elna, violée, revient chez elle et se découvre enceinte. Vingt ans plus tard, Eivor, la fille d’Elna, en conflit avec sa mère, s’enfuit de la maison avec un jeune délinquant. Les deux femmes parviendront-elles à nouer des relations sereines quand la fatalité semble s’acharner sur elles ?
Henning Mankell décrit admirablement les destins tourmentés de ces deux femmes aux prises avec les épreuves de la vie et pose la question de la responsabilité personnelle dans une société suédoise corsetée où il faut lutter pour se faire une place.
Le secret du mari, Liane Moriarty, Livre de Poche, 7.90 euros
Ce n’est peut-être pas un hasard si la couverture de ce livre nous rappelle la série “Desperate Housewives” : mêmes pelouses impeccables, mêmes personnages un poil stéréotypés : Cecilia, meilleure vendeuse Tupperware devant l’éternel, toujours sous contrôle, Tess, mère quadragénaire en pleine crise sentimentale (son mari est tombé amoureux de sa cousine) et Rachel, grand-mère que la vie n’a pas épargné et qui se désole de voir son petit-fils s’envoler bientôt pour New York.
Avec ces personnages qui nous semblent déjà familiers et à partir d’un canevas de base assez simple, (Cecilia trouve dans le grenier une lettre de son mari portant la mention ” A n’ouvrir qu’après ma mort”), Liane Moriarty développe une intrigue redoutablement efficace, qui nous accroche et nous tient en haleine. Au fil des événements, ses personnages se révèlent plus subtils qu’il n’y paraît, un peu à l’étroit et englués dans leur propre peau mais terriblement humains. Les rebondissements ne manquent pas jusqu’au dénouement qui se joue de nos certitudes. Une lecture parfaite pour les vacances, à lire sur votre serviette!
Pardonnable, impardonnable, Valérie Tong Cuong, Le Livre de Poche, 7.50 euros
“Pardonnable, impardonnable”, c’est le jeu qu’avaient inventé le petit Milo et sa tante Marguerite et dans lequel s’exprimait toute leur complicité, puisqu’entre eux tout paraissait pardonnable. Jusqu’à ce jour d’été où, lors d’une promenade à vélo avec sa tante, Milo fait une mauvaise chute et se retrouve à l’hôpital, entre la vie et la mort…
Autour du destin de Milo s’articule celui de toute une famille qui se déchire pendant que le petit garçon lutte pour sa vie. Chacun se jauge, s’accuse, mais aucun des protagonistes n’est vraiment innocent. Céleste et Lino, les parents, Jeanne, la grand-mère, vont s’exprimer tour à tour comme à la barre d’un tribunal. Peu à peu les émotions se dévoilent, les conflits larvés resurgissent et l’harmonie familiale semble se craqueler définitivement…
Valérie Tong Cuong orchestre admirablement ce roman fait d’aveux, de secrets, de culpabilité et ménage des rebondissements qui nous tiennent en haleine. Un huis-clos dans lequel chacun se révèle et qui pose avec pertinence la question du pardon. Passionnant!
Charlotte, David Foenkinos, Folio, 7.10 euros
Oubliez ce que vous connaissez de David Foenkinos : ses romans contemporains, chroniques douces-amères de la vie de couple, son ton ironique et tendre, son image d’écrivain consensuel. Avec “Charlotte”, c’est un autre Foenkinos que nous découvrons, un auteur envoûté par l’oeuvre de la peintre Charlotte Salomon et “hanté” par l’histoire de sa vie qu’il lui faut retranscrire. Le texte, fait de phrases simples et courtes, se déroule tel une litanie en hommage au personnage de Charlotte, jeune fille dont le destin familial est jalonné de drames (le premier est le suicide de sa tante, dont elle porte le nom).
Au fur et à mesure du récit et des épreuves auxquelles elle est confrontée, Charlotte, jeune fille réservée et assez froide, devient une figure opiniâtre, sorte de jeune antigone dont l’art est “toute la vie”. Foenkinos, subjugué par le talent de l’artiste, suscite l’empathie du lecteur d’une façon très progressive tout au long du texte. Ainsi, le roman bénéficie d’une belle montée en puissance. Un texte épuré, comme dans l’urgence, qui se lit d’une traite. Foenkinos n’est plus seulement l’auteur, il est le témoin du destin sacrifié de Charlotte (elle mourra dans un camp de concentration, alors enceinte de son premier enfant), la voix qui parvient jusqu’à nous pour nous transmettre le sens de son oeuvre. Magistral.
Les intéressants, Meg Wolitzer, Le Livre de Poche, 9.10 euros
On avait aimé le précédent roman de Meg Wolitzer, “la position”, mais c’est dans Les Intéressants que sa voix prend toute son ampleur et se déploie admirablement sur plus de 500 pages. Elle nous raconte l’histoire d’un groupe de jeunes gens qui sympathisent à l’occasion d’un camps d’été nommé Spirit-in-the-woods, en 1972, et qui se baptisent eux -même “les intéressants”. Il y a là Goodman et sa soeur Ash, rejetons d’une famille huppée de New-York ; Jonah, fils de la chanteuse folk Susannah Bay ; Ethan Figman, surdoué des films d’animation ; Cathy Kiplinger, qui rêve de devenir danseuse, et enfin Jules, la narratrice principale de ce roman, ado pleine d’esprit mais issue d’une famille modeste, qui se sent enfin exister au sein de ce groupe disparate.
D’une banale amitié adolescente perdurant tant bien que mal à l’âge adulte, Meg Wolitzer fait une fresque sociale et humaine passionnante s’étendant sur plus de quarante ans. En filigrane du roman, l’auteur nous pose plusieurs questions : qu’est-ce qu’une vie réussie? Le talent, la richesse,sont-ils des gages de bonheur? Et qui peut décider si une vie vaut plus ou moins qu’une autre? Un roman ambitieux et maîtrisé, porté par des personnages terriblement attachants dont on peine à se séparer quand se profile le mot “fin”… Une prouesse. A lire d’urgence !
Le jardin de bronze, Gustavo Malajovich, Babel, 9.90 euros
La petite Moïra, 4 ans, et sa baby-sitter disparaissent à la sortie du métro alors qu’elles se rendent à un goûter d’anniversaire. Les parents, un couple au bord de l’implosion, mettent tous leurs espoirs dans l’enquête mais, alors que celle-ci piétine, ils se retrouvent face à face, rongés par la culpabilité et se déchirent. Fabian, le père, continue seul la lutte pour retrouver sa fille. Aidé dans son enquête par un détective privé aussi looser que cocasse (Doberti, superbe personnage secondaire auquel on s’attache), Fabian découvre les lieux interlopes de Buenos Aires, mettant à jour la corruption de la police elle-même, jusqu’à ce qu’une petite araignée de bronze dévie sa trajectoire…
Un superbe roman, noir et dense, qui s’inscrit dans la réalité sociale de l’Argentine d’aujourd’hui, pervertie par la crise financière. Une fresque envoûtante qui nous entraîne dans l’univers étrange et onirique du jardin de bronze.
L’intensité secrète de la vie quotidienne, William Nicholson, Livre de poche, 8,10 euros
Tout le sel de ce roman est dans son titre! Si vous cherchez de l’action, vous risquez de décrocher ; mais si vous aspirez à rencontrer des personnages qui vous ressemblent comme deux gouttes d’eau, à sonder les atermoiements de leurs âmes et à assister à la comédie sociale d’un petit village du Sussex pendant 8 jours, ce livre est fait pour vous.
William Nicholson nous avait déjà enchanté avec son livre “Quand vient le temps d’aimer”. Un seul bémol: les personnages étant plus nombreux, il est parfois plus difficile de s’y retrouver. Le personnage central est Laura, la quarantaine, archiviste, mariée à Henry avec qui elle a deux enfants et une existence assez paisible. Mais voilà que resurgit Nick, son amour de jeunesse, bousculant son quotidien et ravivant certaines blessures anciennes. Autour de Laura gravitent une douzaine de personnages dont l’auteur nous fait partager les sensations et réflexions intimes. La grande force du roman n’est pas ce qui s’y passe, mais bien la façon dont l’auteur sait être au plus près de ses personnages, saisissant la vie quotidienne dans son essence même, entre factures à payer et autres tuiles habituelles du quotidien, et les pensées secrètes tournoyant dans chaque cerveau solitaire.
Un roman dans lequel le quotidien prend toute son intensité, à la façon de certaines séries télé (Twin Peaks notamment), grâce au regard bienveillant de l’auteur. Un livre humain avant tout, dont on sort plus indulgent envers les petits travers de nos semblables…Chapeau, Mr.Nicholson!
L’idée ridicule de ne plus jamais te revoir, Rosa Montero, Points, 6.70 euros
C’est un de ces romans qui n’en sont pas vraiment un : ni roman, ni biographie, ni récit, et en même temps tout cela à la fois, le texte de Rosa Montero possède ce feu que seuls renferment les grands textes. Un texte dans lequel on avance, comme à tâtons, vers l’ “idée ridicule de ne plus jamais te revoir”, qui est l’idée de la perte brutale d’un être cher et de son absence. A travers le personnage de Marie Curie et l’image presque incandescente de la scientifique au visage fermé qui vient de perdre son mari, c’est son propre deuil qu’aborde l’auteur avec beaucoup de pudeur et d’intelligence.
Ce texte, qui devait n’être qu’une préface, devient un récit tissé de réflexions lumineuses et étonnantes sur la vie et les relations humaines, avec des thèmes récurrents qui le jalonnent tels des repères : l’ambition féminine dans une société patriarcale, les injonctions morales culpabilisantes (“#faire ce qu’il faut”) , la force qu’il fallut à Marie Curie pour dépasser tout cela, ainsi que la personnalité de Marie elle-même, le feu couvant sous la glace. Tout cela modèle un récit singulier, ouvert et multiple. Un seul bémol à mon goût : les hashtags envahissant le texte qui, s’ils participent de sa singularité, peuvent aussi gêner le déroulement de la lecture.