D’après une histoire vraie, Delphine de Vigan, éditions JC Lattès, 20 euros
Sidération, c’est l’état dans lequel nous laisse le livre de Delphine de Vigan, l’état dans lequel se trouve son personnage à la fin du récit de cette relation d’emprise remarquablement décrite et comme disséquée au scalpel par la romancière/narratrice. “D’après une histoire vraie” met en scène l’auteur au moment où son lecteur fidèle l’avait laissé, c’est-à-dire en 2011, lors de la parution de son best-seller “Rien ne s’oppose à la nuit” : empreinte de lassitude, vidée par la promotion et le succès inattendu de ce livre très personnel, solitaire depuis le départ de ses jumeaux à l’université, l’auteur semble dans un état de fragilité inhabituel et se voit dans l’impossibilité d’écrire.
C’est dans ce contexte qu’apparaît le personnage de L., jeune femme rencontrée lors d’une soirée et qui va peu à peu s’immiscer dans sa vie jusqu’à devenir son interlocutrice privilégiée, lui prodiguant conseils et parfois semonces sur son écriture et l’avancée de son prochain livre. Cette relation amicale intime dérive insensiblement vers autre chose, qu’on ne saurait nommer et qui envahit insidieusement le récit, divisé en trois parties comme les trois phases de la relation (séduction, dépression, trahison).
Delphine de Vigan joue ici une partition très subtile, entre manipulation de ses personnages et de ses lecteurs : qui abuse qui ? L. a-t-elle vraiment existé, ou n’est-elle que la “petite voix” de l’inspiration qui souffle à l’auteur ce qu’elle doit écrire ? Avec ce roman à l’allure de thriller, l’auteur joue avec nos peurs et nos obsessions contemporaines avec brio ; on assiste au déroulement du récit en retenant son souffle, comme devant un numéro de funambule, car c’est bien elle-même que l’auteur met en danger. Bravo!