“Et nos yeux doivent accueillir l’aurore”, Sigrid Nunez, éditions Rue Fromentin, 23 euros
Il y a quelque chose de magique dans cette chronique douce-amère de la vie de deux jeunes filles aussi différentes qu’on peut l’être, colocataires à l’université au début des années 70. Au-delà de sa superbe couverture et de ce titre énigmatique et poétique que l’on n’arrive pas à retenir (tiré d’une chanson de Bob Dylan), ce roman dense et nostalgique nous entraîne et nous subjugue rapidement, tout comme Ann Drayton subjugue Georgette George, sa camarade de chambre.
Personnalité complexe et fascinante, Ann est une fille de bonne famille en révolte contre son milieu, qui détonne autant qu’elle agace. Elle ne cache d’ailleurs pas à Georgette qu’elle a réclamé à l’université de partager la chambre d’une “jeune fille venant d’un monde aussi différent du sien que possible”, donc de condition beaucoup plus modeste. Contre toute attente, une curieuse amitié va naître entre elles qui les tient éveillées jusqu’à l’aube, en veine de confidences intimes. Tandis qu’Ann se radicalise en s’engageant politiquement contre la guerre du Vietnam et le racisme, Georgette, plus discrète, entame une vie professionnelle plus traditionnelle.
Des années plus tard, alors qu’elles se sont perdues de vue, Georgette reçoit de plein fouet la nouvelle de l’incarcération d’Ann pour meurtre. Bouleversée, elle réalise alors à quel point son amitié avec Ann a influencé et façonné sa propre existence…
Ce roman admirable fait partie de ceux qu’on dévore mais le plus doucement possible afin de ne pas le finir tout de suite! L’auteur nous offre une histoire d’amitié authentique et mélancolique autant qu’une peinture sociale des Etats-Unis des années 70 jusqu’à aujourd’hui, à travers un récit subtil et enlevé qui semble se jouer des différentes époques. Une totale réussite!
Les brumes de l’apparence, Frédérique Deghelt, éditions Actes Sud, 21.80 euros
Lorsqu’elle apprend par un notaire de province qu’elle a hérité d’un bout de terre et de forêt perdu dans le centre de la France, Gabrielle, parisienne de 40 ans à la vie bien remplie, est bien décidée à s’en débarrasser au plus vite. Elle parcourt la France afin de rejoindre le lieu-dit en question et signer actes de propriété et de mise en vente dans les meilleurs délais.
Arrivée sur les lieux et accompagnée par l’agent immobilier du coin, Gabrielle découvre un lieu étrange, composé de ronces et d’arbres à l’abandon, où une maison délabrée se dresse, restée en l’état depuis des décennies. Jean-Pierre, l’agent immobilier, ne cache pas à Gabrielle que le bien sera très difficile à vendre car dans la région, toutes sortes de légendes circulent sur ce territoire mystérieux…bien entendu notre pragmatique citadine ne croit pas un mot de ces rumeurs et décide de passer la nuit sur son terrain.
Suite à cette nuit peuplée de visions et de parfums qui la hantent, Gabrielle est résolue à éclaircir le mystère qui entoure sa terre et à retrouver ses racines, en commençant par faire la connaissance de cette tante dont sa mère ne lui a jamais parlé, et qui habite toujours le village…
Crise de la quarantaine ou remise en cause plus profonde de son identité, le roman mène Gabrielle (et nous, lecteurs) sur des sentiers inattendus et vers des questions essentielles, celles du sens de la vie et de l’existence d’un au-delà. Un roman qui ressemble à un conte mystique et qui nous surprend, nous happe et nous pousse dans nos retranchements. A lire absolument!