La petite communiste qui ne souriait jamais, Lola Lafon, éditions Actes Sud, 21 euros
Pour ceux qui sont nés avant les années 80, le visage de Nadia Comaneci n’est pas inconnu: cette adolescente de 14 ans aux traits fins et au corps acéré est le symbole même de la gymnastique de cette période. Lola Lafon s’est inspiré de ce personnage d’elfe invincible -qui obtint pour la première fois la note suprême de 10 aux Jeux Olympiques de Montréal en 1976- pour écrire ce roman qui n’est pas une biographie mais plutôt le récit d’une admiratrice fascinée tentant de résoudre une énigme vivante. Car la “petite communiste qui ne souriait jamais” est le produit parfait de la Roumanie de Ceausescu : fillette surentraînée aux gestes impeccables, jeune corps androgyne sec et vif, visage grave, Comaneci semble porter les valeurs du régime, volonté, discipline, solidarité.
C’est à cette image d’épinal que s’attaque Lola Lafon en imaginant l’expérience que vécut cette très jeune fille et le parcours qui fut le sien, car son triomphe sera de courte durée : la puberté, et avec elle l’inévitable changement de son corps, signera le début du déclin de sa carrière. Tombant peu à peu en disgrâce, l’ancienne championne finira par quitter clandestinement la Roumanie par la Hongrie et immigrer aux Etats-Unis (comme son ancien entraîneur, Bela). C’est l’ensemble de ce parcours que retrace le roman, entrecoupé des avis de Nadia elle-même, avec qui l’auteur reste en contact ; “la seule façon d’éviter les malentendus, les interprétations, c’est de ne prononcer aucun mot qui puisse être déformé. Alors je me taisais. Beaucoup” confiera celle-ci. Tout en sachant que son image fut utilisée par le régime, elle reconnaît qu’elle fut façonnée par celui-ci et lui doit une grande partie de sa réussite.
Ainsi c’est au coeur de l’ambiguïté du personnage que nous plonge Lola Lafon, à la recherche de la vérité entre ces images de la fillette dont les exploits défient les limites du corps et de son propre sexe et l’adulte d’aujourd’hui qui dut quitter son pays : une figure “qui ne souriait jamais” et qui demeure ce sphinx à l’incroyable force de caractère. Une passionnante enquête.
En finir avec Eddy Bellegueule, Edouard Louis, éditions Seuil, 17 euros
Ce roman, à mi-chemin entre roman et récit autobiographique nous raconte l’enfance et l’adolescence d’Eddy, garçon différent et effeminé dans une famille pauvre de picardie. Le jeune garçon ressent confusément sa différence, mais c’est la violence du réel qui l’y confronte et qu’il subira jusqu’à ce qu’il quitte sa famille, s’extirpant de cette gangue de brutalité.
“En finir avec Eddy Bellegueule”, c’est d’abord cela : le récit brut d’un quotidien violent et excluant, imposé au narrateur comme au lecteur et contre lequel on ne peut rien. “En finir avec Eddy Bellegueule” aurait aussi pu s’appeler “en finir avec le déterminisme social” puisque le livre lui-même est la revanche d’un jeune garçon contre les mots qui l’ont identifié si longtemps, ces mots pauvres et insultants, tous en italique dans le texte (“Prends ça dans ta gueule, sale pédé” ) qui atteignent pourtant leur cible. Dire cette violence était certainement une question de survie pour l’auteur, et la dire de cette manière, avec les mots même de ceux qui l’ont fait souffrir.
Cependant, aucune plainte, aucun apitoiement sur soi-même dans ce texte cru qui relate le quotidien morne d’un certain milieu social un peu oublié des élites : la télévision allumée dans chaque pièce de la maison, le père qui dépense la paye en boisson et se bat, les brimades au collège, les ivresses du week-end au foyer des jeunes…Edouard Louis ne juge pas mais constate, il décrit surtout ce qui a constitué son identité, de laquelle il veut désormais s’affranchir.
Un livre qui est un uppercut, un cri du coeur, à lire d’urgence.